En temps normale, elle aimait particulièrement la pluie. L'humidité, les odeurs de la végétation et de la terre, le son apaisant des gouttes d'eau frappant encore et encore le sol... La pluie dégageait une impression de calme qui avait le don de l'apaiser. D'une manière générale, Jaya avait toujours été plus à l'aise lorsqu'il pleuvait... Peut-être aussi car cela réduisait les risques d'incendie.

Sauf que la pluie, c'est agréable quand on peut la contempler à sa fenêtre. Quand on doit voyager en dessous, c'est une toute autre histoire... En l’occurrence, et malgré la présence sur ses épaules d'une cape soi-disant imperméabilisée, elle se sentait transie jusqu’à l’os.
Lorsqu’elle était partie au matin, elle avait vu les nuages s’amonceler dans le ciel… Mais, naïvement, elle avait espéré que l’orage ne surviendrait pas avant qu’elle n’ait atteint la ville suivante. Grossière erreur ! Résultat, elle n’osait plus sortir la carte qu’elle s’était procrée quelques jours plus tôt de peur que l’orage ne la dégrade, et elle se demandait même si elle n’était pas carrément perdue. Chaque pas était un calvaire. La magicienne n’était pas spécialement physique, et arracher ses bottes à talon des flaques de boue s’avérait une épreuve de plus en plus difficile à surmonter. Elle allait passer une éternité à les remettre en état, puisque de toute manière elle n’avait pas spécialement les moyens d’en racheter une paire neuve…

Le sentier sinueux qu’elle suivait s’enfonçait toujours plus loin dans la forêt. C’était son seul indice, la seule ligne qu’elle pouvait suivre pour s’assurer d’arriver à une certaine forme de civilisation. Les yeux plissés, elle se concentrait pour en discerner les bords à travers la pluie battante, gardant sa capuche rabattue loin devant ses yeux pour se protéger de la pluie. Malgré tout, elle sentait ses doigts rendus gourds par le froid et son nez encombré, annonçant un début de rhume. Misère…

Epuisée par son périple et concentrée sur son avancée, elle faillit ne pas entendre les cris et les bruits de lutte. Un vague écho, perçant le rideau de pluie qui martelait sa capuche. Elle s’arrêta un instant, les sourcils froncés, et lâcha les pans de sa cape pour décrocher son tome de feu de sa ceinture. Elle s’en tint quitte pour un courant d’air qui vint lui lécher les côtes à travers le tissu de sa robe, la faisant frissonner. Rassurée par le poids du livre dans sa main, elle avança encore jusqu’à enfin distinguer, à travers les trombes d’eau, quelques silhouettes floues. Un nombre d’hommes armés qu’elle avait du mal à déterminer, entre quatre et cinq, et une silhouette plus frêle, vraisemblablement encerclée par les autres…

Une attaque ! Quelqu’un était en train de se faire agresser ! Sans plus réfléchir à la coïncidence qui avait amenée cette altercation sur son chemin, elle avança d’encore quelques pas en ouvrant son tome de feu, tendant son autre bras en avant pour étendre sa cape sur l’ouvrage et le protéger tant bien que mal de la pluie.

- Eloignez-vous de lui !

…Moui, on avait fait plus convaincant. La voix rendue faible par la fatigue, éraillée par son début de rhume, elle ne serait pas surprise si les malfrats ne la prenaient pas au sérieux… Alors, pour faire bonne mesure, elle incanta une boule de feu qu’elle envoya aux pieds des agresseurs comme tir de semonce. Sa gorge se noua à la vue des flammes et elle sentit ses entrailles faire des nœuds d’angoisse, d’autant qu’elle était en pleine forêt… Mais quelque part, la pluie, qui avait été son fléau du jour, lui apparaissait comme une alliée précieuse en cet instant. Le pan de cape qu’elle tenait levé retomba lorsqu’elle le lâcha pour lancer son sort, et elle se hâta de rapatrier son tome à l’abri, priant pour qu’il n’ait pas trop été abimé.

- Tout de suite ! Où ce n’est pas le sol que je viserai la prochaine fois !

Elle espérait sincèrement qu’ils prendraient son avertissement au sérieux.

Bon, et bien autant pour elle, les bandits n’étaient manifestement pas bien craintifs des boules de feu. Jaya poussa un soupir, et même celui-ci parut enroué à ses oreilles. Au moins, la victime de leur agression avait-elle trouvé refuge dans un arbre. Elle pouvait à présent décocher ses flèches avec un sérieux avantage. Avec le rideau de pluie qui brouillait sa vision, elle avait du mal à déterminer s’il s’agissait d’une fille ou d’un garçon, mais sa taille et sa silhouette fluette lui laissaient à penser que la première option était la bonne.

Si l’inconnue avait à présent l’avantage de la hauteur, ce n’était pas le cas de Jaya, qui voyait les problèmes approcher à grand pas avec moult gestes de leurs haches. Elle imaginait d’ici leurs faciès bovins. Serrant les dents, elle brandit son tome de feu et incanta à nouveau, faisant naitre une nouvelle boule de feu dans le creux de sa main libre. Si l’ouvrage était sensible à l’eau lorsqu’elle ne se servait pas de son pouvoir, son activité semblait le rendre imperméable et les gouttes de pluie s’évaporait à quelques millimètres de la surface des pages, produisant un lourd nuage de vapeur à ses côtés.
Elle tendit la main et envoya la boule de feu en plein dans la poitrine de l’agresseur du milieu, le stoppant net dans sa course et lui arrachant un hurlement. L’odeur de la chair brûlée se répandit malgré la lourdeur de la pluie, réveillant chez Jaya des souvenirs en passe de la rendre malade d’angoisse. Elle réprima de justesse un mouvement de recul, préparant déjà une seconde boule de feu tandis que l’un des deux qui s’étaient concentrés sur la grimpeuse se prenait une flèche dans la main et poussait un cri de douleur.

Deux blessés, et elles deux n’étaient même pas touchées. Jaya avait encore le temps de lancer son sort et d’en mettre un troisième au tapis avant que le dernier n’arrive au contact, et les agresseurs semblèrent se faire le même genre de réflexion. Tout cela en valait-il vraiment la peine ? Celui qu’elle avait touché avec sa boule de feu se roulait par terre de douleur, poussant des gémissements pitoyables et se couvrant de boue, ce qui n’allait probablement pas arranger l’état de ses blessures.

Ils semblèrent hésiter un instant, se concertant du regard, mais après avoir échangés quelques mots ils décidèrent finalement que ça ne valait pas le coup. Ils avaient probablement mieux à faire de leur journée que se faire cramer la couenne et transformer en hérissons… Les brigands encore valides ramassèrent leurs camarades blessés, et avec un dernier regard que Jaya imagina haineux, ils s’enfoncèrent dans les bois, les laissant seules. La mage s’approcha de l’arbre et leva les yeux vers son occupante. Il lui fallut une grosse minute pour faire le trajet à travers la pluie et la boue, mais elle y parvint.

- Je pense que tu peux descendre…