Dans la contrée la plus à l'ouest du royaume de Lycia, presque à la frontière du désert où s'éveillait peu à peu sa patrie, Maze restait fidèle à elle-même. Autrement dit elle s'était retrouvée là un peu par hasard, lorsqu'en discutant avec un voyageur qui prenait la route vers le couchant, la sang-mêlé se retrouva à l'accompagner sur tout le trajet, se laissant facilement emporter par la conversation qui portait souvent sur l'exploration de villages lointains et les paysages vus.

Après avoir réalisé où elle se situait, approximativement, Maze hésita à faire "un saut" chez elle, pour prendre des nouvelles d'Arcadia et de sa mère de vive voix. Mais si l'idée était séduisante, elle craignait de ne pouvoir repartir avant de nombreuses années, soit car sa mère l'en empêcherait, soit car elle perdrait le fil du temps.
Aussi choisit-elle, après une mûre réflexion de trois jours durant lesquels elle en profita pour visiter les alentours qu'elle n'avait pas vu depuis longtemps, faisant "disparaître" quelques fruits lorsque les gens se faisaient moins vigilants pour se nourrir, l'hybride trouva la solution idéale.
Préférant poursuivre encore sa découverte du monde, et n'étant pas loin d'Etruria dont elle avait envie d'explorer l'architecture plus attentivement, elle se contenta de faire faire une lettre pour donner des nouvelles chez elle avant de retourner flâner dans les ruelles pour chercher nonchalamment à qui la confier pour la faire parvenir à bon port.

Petite ambiance:

Le soucis quand on cherche à faire porter un courrier dans un lieu inhabituel, c'est de trouver un coursier se portant volontaire pour le faire. Or, bien que l'endroit ne soit guère éloigné de la frontière de Nabata... la perspective de marcher à travers des étendues aveuglantes de sables ardents portant aussi loin que l'oeil peut voir ne stimulait pas vraiment l'esprit d'aventure des villageois et des gens de passage.
Si les rumeurs et les "on-dit" avaient fini par rendre plus ou moins public le nom d'Arcadia, le commun des mortels n'en connaissaient généralement que la vague description de "un village perdu dans le désert". De quoi refroidir les curieux. D'autant plus que l'innocente hybride n'avait guère les moyens de faire plus que demander sa requête comme "service". Elle comprenait bien que ce n'était pas contre elle et ne retirait aucun grief des refus systématiques rencontrés, mais son problème demeurait alors : Comment faire parvenir sa missive à sa môman ?

Mais à force de tourner autour du village, interrogeant littéralement tous ceux qu'elle rencontra avec cette joie de vivre qu'elle retenait si mal, elle finit par sortir de ses limites et avoir une vue dégagée sur les routes alentours. Presque vides à ces heures-ci, et surtout en ces lieux. Tout au plus, elle pouvait vaguement apercevoir au loin - trèèès loin - en se hissant sur la pointe de ses grands pieds quelques silhouettes.
La charrette - ou ce qui devait s'en approcher, et probablement appartenir à un marchand itinérant - qu'elle distinguait plus ou moins dans le lointain de l'intéressa pas plus d'une dizaine de secondes, le temps qu'il lui fallut pour réaliser qu'elle semblait s'éloigner du village tout proche, donc d'elle, et de Nabata. Et puis, elle voyait assez mal la charrette traverser les vastes dunes du désert. Déjà qu'elles pataugeaient des heures durant dans la gadoue dès qu'il pleuvait un peu...
En revanche, en plissant un plus les yeux, Maze crut distinguer une silhouette... peut-être même deux, sur le chemin opposé. Comme s'ils venaient à peu près de Nabata. Enfin, elle l'espérait en tout cas. Si ça se trouve, elle était en train de fixer un arbuste au bord de la route et aurait l'air d'une parfaite imbécile.

Maaaais... peut-être qu'il s'agissait bel et bien d'un voyageur - potentiellement pluriel - qui venait voir à quoi ressemblait de la verdure ? Avec un peu de chance, il se contentait de visiter la frontière et retournerait vers son village ?
Après tout, on peut toujours rêver... Et surtout, elle n'avait rien à perdre à tenter sa chance.
Alors c'est réglé ! se dit elle en reprenant espoir avant de prendre la route en direction de ces silhouettes qu'elle espérait animées autrement que par le vent, progressant de son ample et vive foulée sur le chemin.

Comme ils étaient tout de même loin - oui, elle put confirmer qu'ils étaient bien deux et non-végétal en s'approchant - la vieille jeune mit un moment à les rejoindre. Une heure peut-être ? Probablement plus. Deux ? Trois ? Aucune idée. Dans son insouciance et sa longévité, l'idée de tenir un décompte méticuleux du temps qui passe au cours de la journée lui passait très, très loin au-dessus de la tête. Un peu comme les nuages en fait. Pour la sang-mêlé, les temporalités se résumaient à "aube - jour - crépuscule - nuit" avec d'éventuelles interruptions pour le repas ou les traditions locales.
Mais en approchant à portée de voix, son sourire s'étirant malgré elle alors qu'elle était toujours aussi guillerette de rencontrer d'autres voyageurs, elle pencha la tête de côté en fixant d'un air pensif - ou distrait, selon certains - leur apparence, en particulier leurs cheveux. "C'est marrant, j'ai l'impression de les avoir déjà vus" songeait Maze sans parvenir à s'en persuader pour autant.

"Salut ! lança-t-elle en arrivant non loin, laissant ses réflexions muettes de côté. Je m'appelle Maze. Dites voir, vous ne seriez pas depuis Arcadia, à tout hasard ?"

Réalisant qu'elle avait déjà un sourire jusqu'aux oreilles, induit par le fait qu'il faisait beau, qu'elle rencontrait des gens qui semblaient pacifiques - une allure propre et l'absence d'arme étant toujours des critères positifs - et par l'idée qu'elle rencontrait potentiellement à la fois des compatriotes ET des gens qui résoudraient peut-être son problème, Maze se passa les mains sur les joues pour forcer son visage à reprendre une expression plus neutre, quoique son regard demeurait enjoué avec évidence.

Ah ben elle semblait les avoir dérangé. Vaguement. Est-ce qu'on "dérange" réellement quelqu'un lorsqu'il fait juste sa petite routine ? Peut-être.
Bref, en tout cas, le bonhomme - de bien bonne taille, c'était suffisamment rare qu'elle ait a lever la tête pour regarder quelqu'un pour le noter - se leva après avoir refermé un gros livre alors que sa frangine venait le rejoindre.
"Raté" se dit l'hybride lorsque le grand type - Seret - la présenta comme sa fille - Nefa - tandis qu'il lui passait un bras autour des épaules. Ne songeant même pas, serait-ce même dans une réalité parallèle, à remettre cette assertion en question, Maze pencha néanmoins la tête sur le côté d'un air pensif.

"Seret" et "Nefa"... ces sonorités semblaient lui être vaguement familières. Oh, elle n'avait aucun doute quant au fait de les avoir éventuellement rencontré, même une seule fois, à Arcadia quand elle était petite... mais en même temps, il lui était impossible de vraiment les remettre.
Haussant les épaules en se redressant et chassant ces interrogations de sa tête, Maze se dit que ça n'avait pas beaucoup d'importance et qu'elle confondait peut-être tout simplement plusieurs noms. Il faut dire qu'elle avait vu tant de gens depuis son départ de Nabata que les souvenirs se mélangeaient, se confondaient, et parfois d'étranges amalgames remplaçaient la réminiscence de la réalité.

Elle lâcha un râle de frustration lorsque le plus grand répondit positivement à sa question avant d'ajouter, comme s'il devinait déjà le service qu'elle souhaitait demander, qu'ils ne comptaient pas y retourner de sitôt. "Flûte, zut et prout" songea la sang-mêlé qui voyait son petit espoir s'en aller fort loin et fort vite.
Mais peut-être y avait-il encore un coup à jouer. Bien aimable malgré sa raideur digne d'un vieux clerc rabougri, Seret lui proposa de l'aider malgré tout si elle venait avec eux. Bon, c'était doublement gênant comme option, mais tout à fait charmant de sa part.

"Nah, ne vous tracassez point avec ça m'sieur Seret. Je voulais juste faire porter une lettre à ma m'man pour l'informer de ma bonne santé et la tenir aux faits de mes aventures."

Elle soupira d'un air amusé, en se disant qu'elle lui manquait tout de même bien... mais qu'il était encore trop tôt pour rentrer chez elle. Et pressentant, peut-être, la remarque que lui ferait peut-être le voyageur, sa fille, ou simplement pour se donner bonne conscience, Maze ajouta :

"Et ce n'est pas que je ne souffre d'aucune envie de retrouver mon foyer... Mais j'aimerais encore visiter le continent, me balader dans les grandes rues d'Etruria, écouter les bardes d'Élibe, contempler les châteaux de Bern, me cailler les miches devant les paysages d'Ilia..."

Elle avait déjà fait un peu de tout ça... mais en voulait encore ! Aussi, haussa-t-elle les épaules alors que son sourire flottait à nouveau sur ses lèvres sans qu'elle s'en aperçoive.

"Mais vous savez comment sont les parents ! Je n'aurai pas le temps de franchir le seuil de notre maison qu'elle sera déjà sur moi à m'assaillir d'embrassades, puis de leçons de morales. s'affaissant soudainement avec un soupir d'une exaspération exagérée, elle commença à mimer d'un air parodique le destin qui l'attendait chez elle du genre : brosses-toi les dents après le repas, ne te roule pas dans la poussière, ne caresse pas un chien si tu ne le connais pas, rentre avant la tombée de la nuit, tiens-toi droite à table, ne te cure pas le nez en public, et blablablah !"

Ah, les mamans... Bien qu'elle ait hâte de la retrouver, puisque ne l'ayant pas vue depuis presque un demi-siècle et qu'elle lui manquait cruellement, Maze redoutait vraiment de ne plus avoir une seconde pour souffler avant une éternité.
Puis son sourire se changea en une expression figée de doute alors que son regard d'olivine passait de la petite au grand en réalisant que Seret n'était probablement pas la meilleure personne à qui confier ses critiques, même gentillette, de l'instinct parental et ses gatouillages.
Se faisant plus sérieuse, soucieuse même, la sang-mêlé glissa d'une voix s'approchant de celle d'un comploteur :

"Euh... vous ne lui répéterez pas tout ça, hein ? Parce que sinon, je crois que je suis bonne pour la fessée du siècle..."

En vérité, sa mère n'aurait jamais songé lui infliger un tel châtiment, surtout pour une aussi risible raison. Mais après plus de quatre décennies à évoluer parmi les Humains, à observer leurs habitudes et à écouter leurs histoires, le temps avait glissé ses pénombres dans sa mémoire et fantasmé ses souvenirs et ses attentes.
Même si elle ne réalisait pas ce mauvais tour que lui jouait son esprit, ce n’était pas ce qui inquiétait Maze. Elle craignait surtout que sa chère mère ne se sente blessée par de telles remarques, et c'était bien la dernière chose que la "jeune" fille souhaitait.

Eh bé, il est plutôt du genre coincé, le grand vert, se dit Maze. Exactement le genre "d'adulte sérieux blabla" que sa petite bande de jeune aimait à parodier à grands renforts de mimiques et de postures exagérément droites.
La sang-mêlé jeta un regard plein de compassion à Nefa, en s'imaginant qu'avoir un tel père ne devait pas rendre le quotidien drôle tous les jours. Loin d'être de mauvaise compagnie, supposait-elle, Seret était probablement du genre à vraiment agir comme dans la parodie qu'elle avait fait juste avant.
Ne devinant pas la "provocation" derrière les mots de la grande perche, Maze haussa simplement les épaules avec un sourire décontracté.

"Même si j'ai envie de la revoir, je n'ai guère de raisons de m'empresser de rentrer au pays. Le monde est vaste et beau, et surtout en paix. On peut battre la campagne sans craindre d'être piétiné par une horde enragée, ce serait dommage de ne pas en profiter !"

Ne se souciant guère du temps, vaguement consciente de sa longévité et surtout de celle de sa mère, la '"jeune" hybride se disait qu'elle pouvait encore barouder pendant un ou dix ans avant que l'appel du foyer ne dépasse celui de l'inconnu.
Peut-être aurait-elle pour relever le fait qu'il la traitait comme une enfant, comme si à ses yeux elle tenait plus du poupon que de l'adolescente en pleine forme. Si elle s'était offensée de ce traitement, elle aurait pu arguer que cela faisait autour de deux décennies qu'elle "jouait" à la grande soeur, voire à la cheffe, pour plusieurs générations de gosses des rues à Bulgar.
Mais ce genre de joute pour l'orgueil lui volait très loin au-dessus de la tête, d'autant qu'elle ne s'étonnait pas vraiment qu'un type avec ce caractère la traire comme une enfant, ce qu'elle avait encore le sentiment d'être, peut-être justement du fait, au moins en partie, qu'elle n'avait vraiment fréquenté que des adolescents perdus ou rebelles durant près de la moitié de sa vie.
Aussi, se pencha-t-elle plutôt vers "Nefa" en baissant un peu la voix pour se donner un air de comploteur gentillet, alors même qu'elle ne faisait aucun réel effort pour être discrète.

"Il n'a pas l'air très rigolo ton p'pa et elle ajouta en lui faisant un clin d'oeil complice Ce ne doit pas être facile tous les jours."

On pourrait toutefois admettre que, en dépit du naturel des plus pacifiques de Maze, la fréquentation quotidienne et durable de ce qu'on peut aisément qualifier de "petite racaille" n'est guère favorable au bon développement de l'étiquette, amenant ainsi l'insouciante hybride à plaisanter de Seret devant ce dernier sans la moindre gêne.

Il faut pas respirer la compote
ça fait tousser

Ce n'est pas du tout ce qui passait dans l'esprit de Maze à ce moment, même si elle avait déjà eu l'occasion de vivre cette désagréable expérience. Ah souvenir relativement lointain, où en se penchant sur ladite compote pour l'étudier olfactivement, un petit farceur lui avait enfoncé la tête dedans.

Quoiqu'il en soit, l'imbécile heureuse n'avait pas la moindre idée du trouble qu'elle provoquait chez "Nefa" et supposa plutôt, lorsque ses neurones se rebranchèrent enfin tandis que le "papounet" la saisissait d'une main ferme avec une expression qui semblait très contrariée, que le grand bonhomme devait être encore plus sévère que prévu.
"Bah mince, je vais encore me prendre un savon" se dit-elle, regardant avec des yeux de merlan le Manakete qui prenait une voix presque caverneuse pour lui dire qu'il l'aimait à peu près bien. En entendant ces mots, la "jeune" fille se fendit d'un large sourire, toujours ravie que les gens se disent de jolies choses, et il s'en fallut de peu qu'elle ne doive faire répéter le grand bonhomme.
Tout ça pour pencher la tête de côté d'un air perplexe tout en se fendant d'un "gnéh ?" surpris. Il interdit à sa pauvre fille de seulement se faire approcher par des gens ? C'est super bizarre comme idée...

Elle cligna à nouveau des yeux avec confusion et lenteur lorsqu'il expliqua être prêt à l'accompagner jusqu'à Arcadia, faisant des grandes promesses dont la solennité passa stratophériquement au-dessus de la sang-mêlé qui continua à le fixer sans répondre durant quelques secondes. Quelques longues secondes. Quelques, très, longues, secondes. Durant lesquelles son petit cerveau s'efforça de comprendre ce qui se passait, de se demander si elle n'avait pas mal compris quelque chose, dit un truc de travers, ou raté un morceau.
Mais ne trouvant rien, elle recommença à sourire, en supposant que l'erreur venait peut-être alors tout bonnement de ce brave type aux airs pincés.

"Vous êtes bizarre m'sieur Seret dit-elle sur un ton plaisantin je viens tout juste de vous dire que j'pensais pas rentrer tout de suite à la maison de toute façon. Z'avez quand même pas déjà oublié, hein ?"

C'était bizarre ce genre de perte de mémoire quand même, surtout à l'âge qu'il semblait avoir ! Ou à l'équivalent d'âge qu'il pouvait avoir. Ou alors il était un peu foufou sur les bords et c'est pour ça qu'il se donnait de grands airs ? Oh, peu importe. Toujours aussi décontractée, ou perchée, ça dépend du point de vue, elle poursuivit.

"Et puis je m'en voudrais de vous faire faire demi-tour pour si peu. Rien ne presse et tout va bien, alors je vais pas vous embêter avec ça, voyons. Et puis elle doit avoir hâte de voir du pays elle aussi elle désigna la "fille" d'un geste du menton et d'un sourire pas vrai Nefnef' ?"

Étiquette élémentaire : zéro.

Totalement inconsciente, et pas seulement du sort qui l'attendait, la seule chose que pensa Maze lorsque les yeux du vieux bonhomme devinrent vert fut "Oh, quelle jolie couleur". Et puis un étau se referma autour de sa gorge, et lorsqu'elle réalisa qu'elle ne pouvait plus respirer - une fois de plus - elle était déjà soulevée bien haut.
Elle s'agrippa mollement au poignet qui l'étouffait, ses pieds s'agitant faiblement dans le vide tandis que la panique d'un très mauvais souvenir se disputait à la confusion que provoquait cette situation aussi subite qu'inattendue.

"Grgagl." fut tout ce qu'elle trouva à dire.

Bien qu'elle n'essaya même pas de griffer ce bras qui la tenait ou de donner des coups de pieds, se contentant en vain d'essayer de défaire cette étreinte autour de sa gorge, la sang-mêlé n'écouta pas un mot des explications du vieux. Et de toute façon, elle n'y aurait probablement rien compris une fois encore.
Puis on pourrait résumer ses sensations à "Bonk". Ce grand choc qui lui secoua le cerveau et la fit planer littéralement pendant quelques petits instants, suivi d'un grand "Plaf" et du chant de trente-six chandelles.

Attendez, ça chante pas les chandelles ?

C'est cette pensée d'une stupéfiante cohérence qui parvint à forcer la "jeune" fille à rester à peu près consciente. Bien qu'à demi-assommée et confuse, elle toussa un peu avant de tâtonner maladroitement pour se redresser, luttant bien plus contre ses sens qui lui indiquaient que le monde faisait des salto que contre la douleur sourde qui irradiait dans toute la partie droite de son visage.
Avec maintes peines, elle se redressa plus ou moins sur ses jambes, encore tremblantes à cause du coup, avant de perdre l'équilibre et de tomber sur les fesses. Trouvant le compromis "debout/stabilité" pas trop mal pour le moment, elle garda la position en clignant plusieurs fois des yeux, essayant de rebrancher ses neurones et de se retrouver ses repères contre le vertige.

Cela dit, s'il y a bien une chose pour laquelle l'insupportable candide est impressionnante, c'est sa vitesse de récupération. Une fois assise, elle lança un regard accusateur à Seret avant de se frotter la joue.

"Maieuh ! Ça fait super mal..." râla-t-elle d'un air boudeur.

Elle fit jouer un peu sa mâchoire, avant de se relever. Une fois sur ses pieds, elle vacilla un instant mais sans tomber cette fois. Puis, avec l'air d'une grande soeur qui enguirlande son tout petit frère qui a cassé un vase, Maze posa les mains sur les hanches et essaya d'avoir l'air sérieuse, sans que rancœur ou colère n'apparaisse dans son regard ou sa voix. Elle était contrariée de cette violence, très déçue aussi, mais pas furieuse. Ce n'était qu'un coup de poing après tout, et ce n'était pas la première fois qu'on lui en flanquait un pour la faire taire.
Bizarrement, ça marchait pas souvent.

"C'est bien la peine de faire de grands discours si c'est pour céder à la facilité de la violence à la première contrariété ! le gronda-t-elle avec une crédibilité discutable et la joue encore rouge comme une tomate et quel exemple vous faites pour votre fille. Vous devriez avoir honte, monsieur !"

Dit-elle en pointant un index accusateur vers le nez de Seret. Sans doute allait-elle encore se faire taper, mais ce n'était pas bien grave. On ne joue pas les gentilles aînées pour des gamins des rues pendant deux décennies sans garder quelques coquines habitudes.
Dans tous les cas, elle était très beaucoup contre toute forme de violence, et elle tenait à le faire savoir. Après tout, ça arrive à tout le monde d'avoir un coup de sang, ou même de se tromper, et c'était facile de le dire, alors elle n'allait pas se priver pour l'inviter à éviter ce genre de comportement, qu'elle trouvait inadmissible de la part de qui ce que ce soit, et en particulier d'un parent, et à plus forte raison d'un Nabatéen.

Décidément, la jeune hybride allait de surprises en incompréhension avec ces deux-là. Un sourcil dressé au-dessus de ses yeux aussi ronds que ceux d'un poisson frit, le cerveau-lent de Maze essayait désespérément de trouver une raison à ce qui était en train de se passer.
Elle avait l'habitude de voir des gens se chamailler, ou des querelles causées par des caractères ou des différences prononcées. Les cris, les bagarres et les courses-poursuites avaient représenté une grande partie de sa vie... enfin, plus particulièrement, la plus grosse partie de ses souvenirs. Et ils concernaient des humains, des enfants à l'abandon, obligé de montrer les dents pour sauver leur vie !
Alors que le grand cric la croque, qu'est-ce qui leur passait par la tête à ces deux-là ?

Elle était déjà choquée qu'un Nabatéen adulte, qui plus est avec ses airs de grand schnock à lunettes, ait recourt à la violence physique parce que... elle lui a parlé ? Et qu'en prime, non seulement il joue aux donneurs de leçons, mais en plus sa rejetone, la fameuse nef'nef, se permet de monter sur d'encore plus grands chevaux en essayant d'appuyer autant que possible leurs différences d'âge, comme si la jeunesse relative de l'un ou la soi-disante aînesse des autres étaient une échelle de maturité.
Tout ça pour finir par tourner le dos, comme deux princesses pourries gâtées qui n'ont pas eu leur quatorzième biscuit de l'après-midi, et s'en aller, abandonnant une Maze de plus en plus perplexe alors que les événements s'enchaînaient plus vite qu'elle ne pouvait les suivre.

Si elle avait été une activiste, vigoureuse et prête à monter aux créneaux, elle aurait eu une montagne de reproches à leur faire, pouvant pointer du doigt plus d'une faute majeure à la minute dans leur logique et leur attitude.
Si elle avait été une moralisatrice sérieuse, elle aurait renouvelé une mise en garde des plus pertinentes, avant de prendre la direction d'Arcadia et rapporter ses avis à l'Ancien. Puisque "les vieux qui n'ont pas encore atteint ou à peine l'âge adulte" refusent d'écouter une enfant, elle aurait pu être curieuse de voir leur façon de répondre à l'être le plus âgé de tout Élibe.
Si elle avait été une combattante, une "force brute et nécessaire contre les déviances" elle aurait songé à les défier, ou plus vraisemblablement à les pister et les faire mettre au tapis par plus doué qu'elle. Parce que deux Manaketes aussi insensés, enfermés dans leur logique aussi étriquée que virulente, et enclin à la violence, véritable honte de leur espèce, ne pouvait que répandre le mal et la discorde partout où ils se rendraient.
Peu importe le cas, il fallait à tout prix éviter que ces deux-là ne rôdent librement sur le continent, car ils ne pouvaient que réussir à mettre en péril tout ce pour quoi les gens ont combattu et souffert depuis si longtemps, Humains  comme Dragons. Après des siècles, des millénaires, Élibe était enfin apaisée... mais les tensions subsistaient, et même un enfant, un vrai, pouvait le voir.

Malheureusement, Maze n'était que Maze, et c'est après plusieurs minutes de bug mental total qu'elle se fendit d'une grimace très équivoque quant à sa confusion alors que les deux protagonistes s'éloignaient, en espérant très probablement ne jamais recroiser sa route de cinglée.
Pour toute réaction finale, la sang-mêlé se gratta la joue, ravivant un petit peu la douleur qui venait tout juste de se dissiper avant de hausser les épaules en songeant un double "dommage". Dommage qu'ils ne lui servent pas de facteur, dommage de s'être mal entendue avec des compatriotes.
Se faisant une raison à base de "tant mieux ou tant pis, c'est la vie, on continue !" elle finit par tourner les talons à l'opposé, pour ne pas risquer de retomber sur eux et les déranger une nouvelle fois - la seule chose qu'elle avait réussi à comprendre de cette rencontre, et c'était déjà pas mal - et retourna machinalement vers le village. Peu lui importait d'avoir oublié sa lettre, elle n'avait juste pas envie de rester seule, surtout quand quelque chose c'était mal passé. C'était pas bon pour son petit moral.