Le Messager des Ambiances a écrit:

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Il y a 40 ans

La chambre était plongée dans le noir le plus complet. Depuis maintenant près d'une semaine, Sretsamynot n'en avait pas bougé. Non qu'il n'en avait aucune envie. Mais cet isolement et cet immobilisme qu'il s'imposait lui provenaient tout droit d'un besoin irrépressible d'être seul.
Assis en travers de son lit, les mollets et les pieds pendant dans le vide, il conservait la tête baissée. Ses deux mains ouvertes reposaient sur ses cuisses, et son regard était tourné vers elles, ou plutôt sur l'objet qu'elles supportaient.
La chambre avait beau être plongée dans le noir, il avait porté l'objet durant si longtemps que le simple fait de le tenir lui permettait de le reconnaître.

L'objet était une lourde pierre rouge dotée de quarante-deux facettes, dont le doigts de Seret connaissaient le tracé par coeur. Il suffisait de toucher l'une de ces facettes parfaitement plates pour comprendre que cet imposant rubis avait été taillé à la main. Lorsque l'Archisage lui avait remis le joyau un an plus tôt, il s'agissait d'une garantie de sa victoire contre Nergal, quitte à ce que cela coûte la vie au plus grand mage de tous les temps.

- Athos...

Les yeux du manakete se plissèrent, les plis de ses paupières se gorgeant d'humidité alors qu'une larme se formait, puis une autre, et encore une autre... Et enfin, fatidiquement une première larme tomba sur la pierre rouge... Jusqu'à ce que le manakete plurimillénaire se mette réellement à sangloter, pour la toute première fois de son existence.
Un barrage cédait en lui, et sa rupture laisserait des marques. Nul ne saurait jamais, pas même Seret en personne, combien de temps il pleurerait. Mais lorsqu'il put enfin se calmer, le chagrin avait laissé la place à une détermination qu'il ne se connaissait pas auparavant.

- Je dois aller de l'avant, Athos. Ce qui m'attend, c'est le futur. Aussi bien le mien que celui de ce monde. Et cet enjeu, à lui seul, dépasse tout ce que nous avons pu imaginer....

Le manakete se redressa, et posa la pierre sur une étagère proche, dans une grande boîte de bois contenant un tissu rappelant la soie. Seret rabattit le tissu sur la pierre, et resta là, à la contempler encore quelque peu. Puis il acheva de rabattre le tissu avant de refermer le couvercle, renvoyant la pierre à une tranquillité bien méritée.

- Nous sommes-nous trompés, mon ami? Avons-nous échoué à comprendre à quel point les dragons étaient indissociables de l'avenir de l'humanité? La Guerre du Purgatoire a vu la victoire des humains, mais... Que se serait-il passé si les Huit Légendes n'avaient jamais vu le jour? Les humains seraient-ils devenus...

Nos esclaves. Voilà un mot qu'il ne parvenait plus à prononcer à voix haute, mais que certains dragons, plus fiers que lui, ne se seraient pas retenus de cracher à la face du monde. Oui, ils seraient devenus des esclaves, des ouvriers... Des peuples brisées qui plus jamais n'auraient osé contester l'autorité de notre race...
Alors le monde aurait perdu beaucoup de son charme. Quel était l'intérêt de posséder un pouvoir si grand une fois que toute opposition avait été réduite à néant?

- Aucun. Définitivement aucun. Ce doit être le destin...

Cela lui coûta, mais Seret parvint à se détourner de la boîte contenant la pierre. Il lui jeta un dernier regard, un peu amer, puis ouvrit enfin la porte, quittant cette chambre dans laquelle il était resté enfermé trop longtemps...

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Il y a 35 ans...

- Eh bien, eh bien ! Si ce n'est pas mon Manakete préféré!

Serte se figea. Comme tous les matins ou presque, comme à son habitude, il allait perdre une à deux heures dans la bibliothèque qu'il avait passé tant d'années à construire en compagnie d'Athos. Perfectionniste comme il l'était, il fallait qu'il prenne toujours un ou deux livres au hasard afin de vérifier que son contenu ne comportait aucune erreur.
Comme il marchait assez vite, comme on pourrait s'y attendre, il pila sur place, mais raffermit assez vite son équilibre...puis il pivota pour faire face à celle qui venait de l'interpeler.


- Tu vas encore te perdre dans une bibliothèque que tu as déjà inspectée des milliers de fois, et tu ne trouveras plus non plus la moindre occasion de jouer avec moi, n'est-ce pas?

Frou était une Manakete qui avait tout juste dépassé le millénaire, quelques jours à peine après la mort d'Athos. Avant qu'elle ne dépasse cet âge fatidique, Seret avait fait le choix de lui enseigner quelques petites choses durant une période prolongée, l'équivalent de sa jeunesse. A présent qu'elle était ce que l'on pouvait appeler une adolescente, il espérait qu'elle gagnât un peu en maturité, mais il semblait que cela était peine perdu.
Frou n'avait que le jeu à l'esprit, même si elle s'acquittait de ses corvées dès que cela s'avérait nécessaire. Pourtant, dire que Seret l'adorait, c'était sous-estimer le lien qu'ils avaient tissé durant son apprentissage. Si Nefosalrak était bel et bien sa petite sœur par le sang, Frou était bel et bien sa petite sœur de par le cœur, comme le disaient beaucoup d'humains qui vivaient en Arcadia.
C'est donc avec un léger sourire qu'il leva les yeux vers elle. Comme beaucoup de très jeunes Manakete qui franchissaient la barre de l'âge adulte, mille ans après le purgatoire, Frou n'avait peur de presque rien, refusait de tenir en place, et ne se gênait certainement pas pour s'amuser, parfois aux dépends de ses aînés.

- Je n'y échapperai pas, n'est-ce pas?

Frou se tenait sur un muret, à près de deux mètres du sol. Elle souriait beaucoup plus largement que Seret, qu'elle-même trouvait parfois trop sérieux. Elle se releva, et d'un grand saut gracieux, elle s'élança, atterrissant juste à côté de lui, alors qu'il faisait un léger pas en arrière. Comprenant que de gré ou de force, elle l'éloignerait de la bibliothèque pour la journée, Seret laissa un léger soupir franchir la barre de ses lèvres, alors que ses épaules se détendaient. Frou, en cet instant, était ce que l'on pourrait appeler sévère mais juste. Elle avait encore toute la vie devant elle, et lui aussi. Alors, pourquoi se retenir?

- Allez, professeur! Il faut retrouver tous les autres jeunes!

Fasciné par son peps et son cran, il se laissa saisir par le poignet, puis Frou l'entraîna dans une direction bien différente. Elle avait raison, la bibliothèque pourrait attendre...

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Il y a 30 ans...

Seret n'avait pas dormi de la nuit. Ses pensées tourbillonnaient, une fois encore, et il y avait de quoi. Il avait passé une bonne partie de la soirée précédente à réfléchir à un problème de taille: la faiblesse physique des Manakete quand on les comparait aux humains. Dans un monde où les rôles auraient été inversés et où les dragons auraient été inférieurs aux humains avant même de découvrir les Dracopierres, nul doute qu'on se serait moqué d'eux. Se sachant dans le même cas que ses camarades, Seret décida au matin de remédier à ce problème.

- Les humains s'entraînent sans arrêt pour devenir plus forts... Il n'y a pas de raison pour que ce ne soit pas mon cas!

Le dragon vert avait donc consacré son temps libre du jour suivant à réfléchir à ce qu'il avait pu voir de l'entraînement des humains qui vivaient en Arcadia même. Après tout, même à l'extérieur du désert, cela ne devait pas être bien différent.
Aussi passa-t-il le jour suivant à errer quelque peu, observant ça et là afin de glaner quelques informations au sujet de l'entraînement qu'il devrait mener afin de se renforcer.

- Si je peux t'aider? Hmm... Je pense que oui, je peux. Mais, sans te manquer de respect, tu manques un peu de viande sur les os! Je peux simplement te recommander de faire de l'exercice pour le moment. Reviens me voir quand tu auras élargi un peu ces épaules! Disons...dans un mois?

Avner était extrêmement sympathique aux yeux de Seret, et il prit son conseil avec le plus grand sérieux.
Les jours qui suivirent furent donc consacrés à gagner un peu de force et d'endurance. Ce que Seret faisait en marchant, il commença à le faire en courant lorsque les circonstances s'y prêtaient. Il commença à porter les livres par piles, et non plus individuellement. Au terme de la première semaine, ses muscles lui faisaient mal, et les courbatures ne le laissèrent jamais en paix. Au terme de la seconde semaine, la douleur était toujours là, même si elle était moins oppressante.
Et enfin, deux semaines plus tard, il effectuait de nouveau les mêmes gestes, sans cette douleur intense à la clé. Et effectivement, lorsqu'il se regardait dans une surface réfléchissante, il se réjouit. Il n'était plus le Manakete maigre comme un clou qui avait appris, impuissant, la mort d'Athos, 10 ans plus tôt. Demain serait donc le jour où il commencerait à s'entraîner avec Avner... Et à partir de ce moment, son monde allait changer, même s'il l'ignorait...

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Un an après le post précédent

-Du nerf !

Seret était en sueur. Cela faisait maintenant un an, jour pour jour, qu'Avner et lui se retrouvaient à heures fixes pour s'entraîner pour de bon. Et dire que ce cher Avner ne le ménageait pas était un pur euphémisme. En comptabilisant tout ce qui avait pu lui arriver depuis un an, Seret n'arrivait pas à visualiser quoi que ce soit d'autre qu'un passage à tabac sur la durée. Pendant tout ce temps, il avait donné des coups, mais beaucoup moins qu'il en avait reçu.

- Tu te bats bien... Oui, comme un dragon sans ailes !

Même si les coups du manakete manquaient sérieusement de puissance, de vitesse et de précision, Avner devait bien avouer qu'il avait du potentiel. Lui-même s'en était sorti avec quelques bleus, voire une ou deux contusions un peu plus sérieuses, mais quel serait le résultat dans deux ans? Trois ans? Dix? Avner n'était pas une foudre de guerre, mais il savait reconnaître un bon combattant avec du potentiel quand il en voyait un. Et ce Manakete ne cessait pas de le surprendre. Oui, Seret apprenait vite, c'était certain.

- Han ! PLus vite, plus fort ! Vise la tête, le ventre, le coeur ! Mets-moi au sol, si tu en es capable !

Les deux combattants se faisaient face. Le novice et le maître échangeaient des coups qui ne laissaient jamais l'autre de marbre. Les coups portés par Avner étaient guidés par sa force, son expérience et sa maîtrise, tandis que Seret était porté par sa volonté, mais à elle seule, cela suffisait à faire la différence.
Il n'était plus le Manakete maigre comme un clou à qui Avner avait promis un an plus tôt qu'il l'entraînerait. Il était devenu fort. Pour de bon. Son mental était déjà puissant, cela Avner le savait déjà, mais désormais, sa force et son endurance, ainsi que ses performances physiques en général, commençaient elles aussi à tenir la distance... Il était loin, le premier jour, où Seret s'était assis à l'ombre des arbres, pratiquement épuisé après quelques minutes seulement. Aujourd'hui, Avner se trouvait face à un homme qui lui démontrait jour après jour que même avec des antécédents aussi contraignants, il avait encore une marge de progression ahurissante...